Vouloir et oser : les clés de 20 ans de succès d’intégration chez Coop

Nous sommes en 2002 et la construction du nouveau centre commercial Coop à Collombey arrive à son terme. La centrale d’achats de Châteauneuf, qui intégrait des personnes en situation de handicap, vient de fermer. Mais l’ouverture prochaine du supermarché Coop Parc du Rhône offre une nouvelle opportunité d’intégration. Franck Truchot, alors gérant du site, se voit proposer d’accueillir un atelier protégé. Il retrace cet incroyable projet, aujourd’hui d’étendue nationale.

Equipe intégrée du magasin Coop Parc du Rhône à Collombey (de gauche à droite) : Anthony Cupido, Morgane Bobillier, Livio De Matteis (MSP), Kewal Eggenberger, Rebecca Sgro, Blaise Demelais, Laetitia Imesch. Absent·e sur la photo : Mélany Christen, Patrick Sieber.

Collombey, là où tout a commencé

« J’ai accepté mais sans avoir aucune compétence et formation dans l’accompagnement. Au départ cette idée d’atelier protégé me parlait peu. J’avais plutôt besoin de main d’œuvre et de force de travail aux points de ventes. J’ai alors commencé par enlever cet écriteau Atelier protégé pour le remplacer par Equipe intégrée, à la surprise de Jean-Marc Dupont, alors directeur de la Fovahm » confie Franck Truchot en riant.

« Je lui ai affirmé que chez Coop, les personnes étaient intégrées plutôt que protégées et mises à l’écart.

« Une confiance mutuelle a permis, à ce moment, de tenter quelque chose de nouveau. L’expertise de la Fovahm, combinée à mon ignorance dans le domaine de l’accompagnement nous ont ouvert de nouvelles portes en se disant: “Pourquoi ne pas essayer ?”

« Nous avons ainsi pris l’option de faire travailler une équipe intégrée directement dans le magasin, accompagnée par un maître socioprofessionnel (MSP). Les choses se sont ensuite construites progressivement. Au début, l’équipe a appris à reconnaître une bouteille de coca d’une boîte de conserve, puis à différencier le coca normal du coca zéro et enfin à gérer les dates du coca. Finalement l’apprentissage a été extrêmement rapide. »

« Une confiance mutuelle a permis, à ce moment, de tenter quelque chose de nouveau. »

Franck Truchot
Chef de vente Coop Rev 2 Berne

Le projet prend de l’ampleur

« La collaboration s’est ensuite développée et a été étendue à Sion, Conthey, puis Martigny. Cette intégration s’est poursuivie de manière très simple, en se disant les choses au fur et à mesure des situations ou problématiques.

« A chaque fois, nous avons cherché le chemin et testé une façon de procéder. Certains points ont dû être clarifiés, avec des positions fermes de ma part, fausses probablement, par manque d’empathie à ce moment-là. Toutes les options prises n’ont bien entendu pas fonctionné. Mais nous avons fait des adaptations petit à petit afin de trouver une solution adéquate pour tous.

« Après le Valais, ce projet s’est étendu à la Suisse romande avec l’intégration de 10 équipes dans cette région. Aujourd’hui, il s’élargit à la Suisse alémanique avec de futurs projets à Berne et Soleure. L’intégration au sein des magasins Coop prend de l’ampleur grâce au concept qui est maintenant connu et aux éléments que nous savons nécessaires pour qu’elle fonctionne. L’objectif est d’arriver à une quarantaine d’équipes intégrées au niveau national. »

Equipe intégrée du magasin Coop City à Sion (derrière puis devant, de gauche à droite) : Alexandra Dorthe (responsable Food), Jérôme Antille, Vincent Matti, Frédéric Fauchère (gérant Coop City Sion), Carole Berclaz, Frédéric Torrent, Laurent Millet (MSP), Patrick Théodoloz, Olivier Burgener. Absente sur la photo: Julie de Kalbermatten

Le MSP : la clé de voûte

« L’enjeu principal d’un tel projet est de trouver le moyen de tisser un pont entre le monde économique et social, avec un élément clé ; le maître socioprofessionnel. Car malgré toute la bonne volonté du groupe Coop, de la direction de l’institution ou des employés, c’est lui qui va être déterminant quant au succès de l’intégration. Il est l’élément central, le lien entre les deux mondes. S’il n’a pas compris sa mission et les attentes des deux côtés, le projet est voué à l’échec.

« Le travail dans le commerce de détail est exigeant et la position du maître socioprofessionnel, complexe. En effet, il n’est pas uniquement dans l’accompagnement mais réalise aussi les mêmes activités que son équipe. Il va enseigner l’exécution d’une nouvelle tâche tout en contrôlant le travail effectué et tenir compte des normes et aspects techniques. De plus, si une tâche n’est pas terminée, c’est lui qui finira de remplir le rayon ou de contrôler le dernier mètre de produits. L’amplitude du travail du maître socioprofessionnel est gigantesque. Il est successivement employé Coop, vendeur et chef d’équipe. Mais il reste un maître socioprofessionnel qui accompagne, fait le suivi des personnes, s’occupe des aspects médicaux et des relations avec les parents. Il doit composer avec tous ces éléments, d’où sa position centrale, telle une clé de voûte.

« Aujourd’hui, l’intégration dans nos magasins se passe très bien grâce notamment au travail exceptionnel réalisé par les maîtres socioprofessionnels. Cela vient aussi des bonnes relations entretenues avec le gérant et le personnel Coop mais surtout de leur plaisir à travailler dans le domaine du commerce de détail. Les maîtres socioprofessionnels ont compris les différents enjeux et leur engagement quotidien est visible dans les sourires présents sur les visages des équipes intégrées. »

Qu’est-ce qu’une intégration réussie ?

« Lorsque l’on parle de compétences et non de différences, l’intégration est un succès. Lorsqu’un collaborateur me dit n’avoir pas réussi à terminer le travail car un membre de l’équipe intégrée était malade, l’intégration est réussie. Nous avons besoin d’eux et leur présence fait une différence.

« Mais pour bien intégrer, il faut éviter de stigmatiser. Il n’y a pas d’un côté l’équipe intégrée de la Fovahm et de l’autre, l’équipe Coop. Nous avons nos collaborateurs qui forment une seule et même équipe. Parmi eux, il y a l’équipe des produits frais, l’équipe de la boucherie, etc. mais sans autre distinction.

« D’ailleurs, les équipes intégrées ont le sentiment de faire partie de Coop et non de la Fovahm. Elles sont fières de porter la chemise et le badge, fières d’avoir le stylo Coop, fières d’aider le client. C’est magique ! Pour nous c’est fantastique de le voir. A de nombreux niveaux, elles sont exemplaires et amènent aussi d’importantes valeurs comme la solidarité, le respect et l’écoute.

« Valoriser ce que les équipes intégrées font ou aiment est aussi important. Nous avons découvert, lors de la fête du personnel, qu’elles aimaient danser. Du coup, la danse s’est invitée dans nos événements, alors que ce n’était pas toujours le cas. Et au final, c’est tout le personnel qui danse, ce qui amène une autre atmosphère dans certains moments de la vie du magasin.

« Leur fierté d’appartenance et leur plaisir à travailler font que les équipes intégrées défendent Coop. Ces personnes amènent leur famille dans les magasins Coop ou alors leur imposent de faire leurs courses chez Coop. Ce sont de véritables ambassadeurs d’entreprise mais d’une manière très simple, sans aucune stratégie. Elles sont convaincues et elles sont convaincantes. »

Equipe intégrée du magasin Coop Bassin à Conthey (de gauche à droite) : Joël Favre, Samantha Chamorel, Jessie Guyot, Nikola Petrovic, Stéphanie Devayes (MSP), Alexandre Rodrigues Torres, Luigi Brantschen. Absent·es sur la photo: Filipe De Barros, Jessica Gambaro, David Kasiala.

Intégration : coût ou investissement ?

« On pense qu’intégrer ou faire un geste social est onéreux. Bien entendu, il y a un coût, mais il est rentable si l’on considère les retombées. Pour de nombreuses raisons, je pense que l’intégration est davantage un investissement plutôt qu’un coût.

« Ce qu’il faut bien comprendre au départ, c’est que les équipes intégrées fournissent le même travail que d’autres employés Coop. La seule différence se situe au niveau du rendement demandé, qui n’est pas aussi élevé que pour les autres membres du personnel. Nous avons bien entendu des attentes avec la pose d’objectifs à réaliser. C’est là que le travail du maître socioprofessionnel est crucial. Il les encourage mais sans mettre trop de pression et surtout sans les sanctionner si une tâche n’est pas achevée.

« Là où il y a des équipes intégrées, le taux d’absentéisme est aussi plus bas. Est-ce le fait de voir qu’une personne, avec des maux de tête quotidiens, est néanmoins présente et travaille ? Ou celui de réaliser qu’en cas d’absence, notre binôme sera seul au rayon et ne pourra pas exécuter certaines tâches ?

« Intégrer augmente non seulement la responsabilité sociétale mais développe aussi des capacités émotionnelles importantes dont nous avons aujourd’hui besoin dans le management. Un chef qui possède de l’empathie et du respect envers l’être l’humain conduit mieux ses équipes. Si la présence d’équipes intégrées force, au départ, le développement de ces compétences sociales, elle améliore, au final, les compétences de tous. L’osmose et l’atmosphère dans le magasin s’améliorent et ont un impact positif sur la rentabilité.

« L’intégration peut néanmoins rapidement devenir contre-productive si elle ne tient pas compte de la santé des personnes en situation de handicap. Le commerce de détail est un milieu difficile où la concurrence est acharnée et les exigences élevées. Le fait de vouloir les rendre indispensables peut exercer une certaine pression associée à la fatigabilité qui arrive plus vite chez les équipes intégrées. Nous avons ainsi décidé d’augmenter les équipes d’une personne supplémentaire pour pallier plus facilement l’absence d’un membre, sans pression supplémentaire sur les autres.

« Un aspect également important à relever est le soutien de nos clients. Sans avoir réalisé d’études précises, nous savons qu’une partie de la clientèle se rend dans nos magasins parce qu’elle adhère à notre politique d’intégration. »

Equipe intégrée du magasin Coop Cristal à Martigny (de gauche à droite) : Fabienne Pilloud, Aline Trombert, Natacha Fauchère (MSP), Timothée Guigoz, Cyrille Zanetti, Eléazar Nzembani, Stéphane Huber. Absent·es sur la photo : Morgim Dullovi, Océane Gendre, Gonçalo Martins Paixao

Et demain ?

« Je n’ai ni stéréotypes, ni modèles, ce qui me permet de dépasser des barrières, sans craindre d’aller plus loin. Au départ, j’ai entendu: “Tu verras, ils ne travailleront jamais aux fruits et légumes ou à la boucherie.” Aujourd’hui, ils sont aux fruits et légumes et ils travaillent à la boucherie. Ils font tout à l’exception de deux activités ; la caisse et la gestion des commandes. Celles-ci comprennent des notions de stress et de responsabilité à ne pas négliger, sans parler de la complexité des programmes. Mais qui sait ? Peut-être que les systèmes et outils de demain leur permettront de réaliser ces tâches.

« Je pense qu’il faut continuer. Il devrait y avoir assez de places pour chacune des personnes qui pourrait la prendre mais sans aller au-delà. Tout le monde ne peut pas ou ne veut pas travailler dans ce domaine et c’est une réalité qu’il faut aussi accepter.

« 20 ans, c’est beaucoup et rien à la fois. Ce projet n’est pas à l’abri d’une catastrophe sanitaire ou d’une problématique qui remettrait tout en question. Cette intégration doit être pérenne et ne pas reposer uniquement sur quelques membres internes du groupe Coop. Nous devons demeurer vigilants et faire en sorte que ces places de travail soient considérées comme essentielles et non superflues. C’est l’une des clés de la réussite.

« Une nouvelle équipe intégrée verra le jour le 1er janvier prochain dans l’hypermarché de Biel Bahnhof en collaboration avec une fondation de la région de Bienne. L’expérience valaisanne va nous permettre de répondre aux questions et craintes suscitées par ce nouveau projet. Des membres de cette fondation vont d’ailleurs rencontrer les équipes de la Fovahm afin que celles-ci puissent leur transmettre leur expérience.

« Ce projet d’intégration va continuer au niveau national pour Coop. Pour la Fovahm, en Valais, j’espère que des ponts se tisseront avec d’autres enseignes de la grande distribution en Suisse. La suite est là.

« Au niveau personnel, c’est toujours une énorme satisfaction de revoir ces équipes et leurs sourires qui sont tellement sincères et authentiques. Quand je les vois, alors je me dis: “Oui, nous avons fait quelque chose de bien. Oui, nous avons réussi.” »

par Juliana Seiler, Fovahm

Pour des raisons de lisibilité, le masculin générique est utilisé dans cet article, qui inclut toutes les personnes.

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